Paroles de mélèze
Publié le 22 septembre 2023
Cher humain, je me présente. Je suis un mélèze âgé de tout juste 1000 ans…Il y a fort longtemps, alors que je n’étais qu’une graine, je me suis installé sur les pentes ensoleillées d’une haute montagne où j’ai, jour après jour, enfoui toujours plus profondément mes racines.
Avec mes 60 mètres de haut, je domine désormais toute la vallée. Ma circonférence de près de dix mètres de diamètre contribue largement à m’imposer comme le titan du coin.
C’est qu’il faut avoir le tronc droit et les racines bien ancrées dans le sol pour tenir si longtemps sans ployer. Pourtant, ce ne fut pas toujours le cas. Autant j’aime observer la faune, autant la présence de cervidés me rappelle des instants d’angoisse dans ma prime jeunesse. À cette époque, j’ai subi plusieurs agressions qui ont failli me coûter la vie : des chamois ont mangé mes bourgeons, des cerfs se sont attaqués à mon écorce, des chevreuils ont frotté leur bois sur moi. J’ai eu chaud et par chance, je fais partie de ceux qui ont survécu à tous ces périls. Avant de devenir un arbre, grand, solide, bien enraciné, prêt à affronter toutes les vicissitudes, j’ai ainsi fait l’expérience de la fragilité de l’existence.
Le danger de la jeunesse passé, un autre s’est présenté. Je me souviens de cette période où je craignais que le bûcheron ne sorte son couteau et marque mon écorce d’une croix. Cela aurait signifié qu’il ne me restait plus longtemps à vivre, que je serais bientôt abattu. J’aurais pu finir en planches pour la construction d’un pont ou la réfection d’un toit en tavillons. Ou alors j’aurais pu servir à la fabrication de meubles, de portes ou de fenêtres. Est-ce que cela aurait annoncé ma fin ou le début d’une seconde vie ? Cette question ne se posa heureusement pas.
J’ai acquis un statut presque sacré grâce à mon grand âge et mon imposant gabarit.
Aujourd’hui, je ne crains plus le bûcheron, car j’ai acquis un statut presque sacré grâce à mon grand âge et mon imposant gabarit. Pas grand-chose ne vient troubler ma quiétude si ce n’est les animaux et quelques humains qui s’aventurent dans la forêt. Seules les saisons apportent un changement bienvenu et rythment mon existence. Par moments, je songe à mes premières années avec une certaine nostalgie. Je me sentais plein de vitalité et d’énergie. J’avais un rêve : devenir le plus grand pour jouir d’une vue imprenable sur le paysage environnant. Aujourd’hui, je n’ai plus grand-chose à attendre de la vie et je me vois vieillir. Quand j’étais jeune, je rêvais d’atteindre un âge vénérable et depuis que je suis vieux, j’aimerais remonter le temps et retrouver la vigueur de ma jeunesse.
Ne devrais-je pas simplement savourer l’instant présent ? Après mûre réflexion, je pense que chaque étape de l’existence a ses bons côtés et que rien ne sert de se morfondre, car je ne peux rien changer à ce cycle inexorable. Contrairement à d’autres, j’ai bénéficié d’une très longue vie… et elle n’est encore pas terminée.
Pourtant, c’est vrai ! Sous terre, il y a un vaste circuit de communication qu’on appelle le « wood wide web », un peu comme votre réseau Internet.
Une autre question m’a taraudé à différents moments de mon existence : « À quoi je sers ? » Un de mes semblables, avec qui j’ai partagé de nombreuses années de bon voisinage, m’a un jour fait prendre conscience que j’étais utile à la planète Terre. Ça vous fait rire, que nous, les arbres, nous parlions entre nous ? Pourtant, c’est vrai ! Sous terre, il y a un vaste circuit de communication qu’on appelle le « wood wide web », un peu comme votre réseau Internet. Il nous permet d’échanger des informations et notamment de prévenir les autres de certains dangers. Mais je m’égare.
Revenons plutôt à ma conversation avec mon vieil ami. Notre rôle le plus important est l’absorption du dioxyde de carbone et la production de l’oxygène que nous rejetons dans l’air. Sans moi et mes congénères, pas de vie sur Terre ! Si vous, les humains, en étiez tous pleinement conscients, peut-être arrêteriez-vous de déforester la planète. Être un maillon de l’équilibre de la vie sur Terre, voilà une belle mission que j’assumerai inlassablement, tout comme mes semblables, d’ailleurs, jusqu’à la fin de mes jours. Ce ne sera pourtant pas l’épilogue de mon histoire ! Que je reste debout ou que je tombe, je me verrais bien continuer à jouer un rôle dans le cycle de la vie en servant encore de refuge aux insectes et aux animaux.
Et toi, humain ? Serais-tu prêt à échanger ton existence contre la mienne ?
Ecoutez l’histoire du vieux mélèze lue par Marc Voltenauer