Le potentiel de restauration des forêts

Publié le 20 mars 2025

Nous avons exploré dans l’article précédent les définitions multiples des forêts, la distinction entre déforestation et dégradation, et leurs causes. Une étude récente sur le potentiel mondial de restauration des forêts a mis en lumière les ambiguïtés de cette notion et les risques qu’elle pouvait engendrer, comme la destruction d’écosystèmes intacts sous prétexte de les restaurer. Et si la vraie priorité était de protéger les forêts existantes ?

 

Reforester ou restaurer?

Si la déforestation détruit la forêt, son inverse s’appelle la reforestation. Et lorsqu’une forêt est dégradée, on parle de restauration. De même, si la dégradation altère une forêt, son inverse est la restauration.

En 2019, nous avons publié une étude sur le potentiel mondial de restauration des forêts qui a fait débat. Nous avons cartographié les zones où la présence d’arbres supplémentaires serait possible sans compromettre l’agriculture ou les infrastructures existantes. Les résultats ont révélé des espaces considérables propices à la restauration : il y a de la place sur Terre pour beaucoup plus d’arbres.

Cependant, cette notion de potentiel a été mal comprise. D’abord, estimer un potentiel ne signifie pas fixer un objectif. Enfin, et surtout, le simple fait qu’un territoire ait un potentiel de restauration ne signifie pas pour autant qu’il a été dégradé. Pensez à une savane ancienne ou à une tourbière? Faut-il les replanter? Pas forcément!

Ces définitions ont aussi des conséquences contre-intuitives : un incendie par exemple augmente le potentiel de restauration, tout comme une coupe rase. Autre conséquence surprenante, une forêt en parfait état de conservation n’a aucun potentiel de restauration, puisqu’elle n’a pas besoin d’être restaurée ! Et du coup, la déforestation qui se fait sur des forêts existantes ne modifie que peu ou pas le potentiel. Plus la forêt détruite est intacte, moins la déforestation affecte le potentiel… puisqu’une forêt intacte n’a aucun potentiel !

Dans des cas extrêmes, des forêts en parfait état pourraient être détruites simplement pour justifier des projets de replantation et de séquestration de carbone.

Si cela vous donne le tournis, c’est normal. Mais le pire c’est que ces logiques créent des situations absurdes. Certains investisseurs, souhaitant financer la capture du carbone, refusent de protéger des forêts intactes, car ils doivent démontrer un impact mesurable pour compenser leurs émissions par exemple. Pour eux, pas de dégradation signifie pas de potentiel. Dans des cas extrêmes, des forêts en parfait état pourraient être détruites simplement pour justifier des projets de replantation et de séquestration de carbone.

Cette absurdité résulte du lien entre les mécanismes de marché et les politiques environnementales. C’est une alliance étrange entre le bulldozer et la pépinière. Et ce n’est pas un scénario hypothétique : de telles décisions ont déjà été envisagées, notamment pour des mangroves au Yucatan.

Comme l’a dit Malcolm X, « Enfoncer un couteau de 9 pouces dans le dos de quelqu’un et le retirer de 6 pouces, ce n’est pas du progrès. » Détruire des forêts pour les replanter non plus.

Le vrai défi n’est pas de planter des arbres, mais de laisser les forêts pousser.

Ne serait-il pas plus simple de financer les forêts existantes plutôt que de justifier des investissements par la destruction ? Et plutôt que d’alimenter une agriculture qui les détruit, ne devrions-nous pas soutenir celles et ceux qui les exploitent durablement ?

Avoir une vision claire de ce qu’est une forêt, de la déforestation et de la dégradation permet de ne pas se perdre dans les chiffres et d’orienter nos décisions.

Le vrai défi n’est pas de planter des arbres, mais de laisser les forêts pousser.

  • Claude Garcia

    Claude Garcia est professeur à la Haute École spécialisée bernoise, et chercheur associé à l’École Polytechnique Fédérale de Zurich. Formé à l’écologie tropicale, il s’est tourné vers d’autres disciplines pour mieux comprendre la prise de décision individuelle et collective. Chercheur, conférencier, et entrepreneur, il a co-fondé le collectif Planet C, une association dont le but est d’aider à catalyser la transition. Claude parle français, espagnol et anglais. Il aimerait bien faire du voilier dans les îles grecques.