Les arbres-mères, de (très) vieux arbres pour le futur

Publié le 5 novembre 2023

Depuis la nuit des temps, les vieux arbres inspirent le respect et l’admiration des peuples du monde entier. Témoins de l’histoire, ces «ancêtres» du monde végétal sont désormais menacés d’extinction en Suisse et, plus généralement, en Europe. Des siècles de défrichages et d’exploitation du bois intensive les ont pratiquement exterminés alors qu’ils sont indispensables à la bonne santé de l’écosystème.

 

Pas programmés pour mourir
Scientifiquement, un vieil arbre atteint 3 à 20 fois l’âge médian de son espèce. De récentes études scientifiques expliquent qu’un arbre mature n’est pas «programmé» pour mourir à un âge donné. Son déclin est dû à des dommages provoqués par des facteurs externes, biotiques (influence d’un être vivant sur les autres) et abiotiques (influence de facteurs non-vivants, le vent par ex.). Sa mort relève donc d’un certain hasard. À travers les millénaires, les arbres ont en effet développé divers mécanismes ingénieux pour défier le temps. Certains ont choisi de miser sur des capacités de clonage, comme par exemple lorsqu’une souche refait des jeunes pousses ; on dit alors qu’elle «rejette». D’autres s’accommodent des stress qu’ils subissent et sont devenus tolérants à la vieillesse. Statistiquement, 24% des arbres d’un peuplement pourraient parvenir un âge respectable (3 à 4 fois l’âge médian*) et 1 à 1,5% d’entre eux se démarquent comme étant les «grands gagnants de la loterie de la vie», atteignant 10 à 20 fois l’âge médian de leur espèce.

La superstructure de la communauté forêt
Gardien de la mémoire d’un lieu, le vieil arbre s’est imposé comme un pilier dans son milieu. Nous savons aujourd’hui que les arbres communiquent entre eux et échangent des ressources. L’ancien, par son expérience, peut être considéré comme une « pharmacie vivante », connaisseur de nombreux mécanismes de survie lui permettant de résister aux parasites et aux événements climatiques. Ces informations sont partagées avec sa descendance, qui s’élancera dans la vie avec un épatant bagage génétique.

L’ancien, par son expérience, peut être considéré comme une «pharmacie vivante», connaisseur de nombreux mécanismes de survie lui permettant de résister aux parasites et aux événements climatiques.

Les messages sont aussi transmis aux individus avoisinants auxquels il est connecté via son réseau mycorhizien. Cette symbiose arbre-champignon est indispensable à la vie de la forêt et témoigne de la stratégie de coopération qui prévaut dans cet écosystème. Dans ce sens, le vieil arbre soutient les jeunes arbrisseaux de son entourage en leur partageant des sucres, des remèdes mais aussi un cortège d’espèces vivantes bénéfiques hébergées dans ses nombreux dendromicrohabitats (une cavité par exemple) façonnés par les aléas climatiques. Par ses caractéristiques, le vieil arbre se pose en superstructure de la communauté forêt et relie ainsi les grands réservoirs de biodiversité.

Alerte extinction : les voix de scientifiques rejoignent celles des peuples premiers
Nombre de représentants des peuples premiers le clament depuis longtemps : l’Europe a perdu ses arbres-mères. Et cela représente un grand problème pour l’avenir de nos écosystèmes, forestiers ou agricoles d’ailleurs. Depuis quelque temps, des scientifiques se joignent à cet appel à reconsidérer la place que nous leur réservons dans nos paysages. Tous recommandent d’entamer une réintroduction des vieux arbres à large échelle et sans perdre de temps ! Une opération sur quelques milles ans, qui nécessitera de laisser des individus se développer librement sur plusieurs générations humaines.

Pour un réseau de très vieux arbres en Suisse et en Europe
Les vieux arbres redonnent à la forêt une dimension intemporelle, nécessaire à son bon fonctionnement. Pour combler ce déficit, il faudra des ambitions à (très) long terme et une volonté avérée des propriétaires et des professionnels forestiers de gérer les forêts en réintégrant cette part de naturalité. Tels des îlots sauvages au sein des forêts exploitées, ces vénérables géants maintiennent les liens précieux du vivant, humain compris. Des initiatives germent à travers le monde pour y parvenir.

Tels des îlots sauvages au sein des forêts exploitées, ces vénérables géants maintiennent les liens précieux du vivant, humain compris.

En Suisse, la démarche de «l’Arbre-lien» propose d’établir un vaste réseau de (futurs) vieux arbres, protégés durablement par un pacte de non-abattage conclu entre les acteurs gravitant autour d’une forêt, à une échelle locale. À travers des processus participatifs de désignation des individus, la démarche entend favoriser le dialogue entre différents acteurs (forestiers, propriétaires de forêt et population) et la création de liens humain-nature respectueux. Sacrés pour certains de nos ancêtres, ces gardiens locaux du temps qui défilent inlassablement sont, aujourd’hui encore, parmi nos meilleurs alliés face aux défis climatiques et sociétaux des siècles prochains.

 

* L’âge médian est l’âge qui divise un peuplement en deux groupes de même taille : une moitié est plus jeune que l’âge médian et l’autre plus âgée. Attention, l’âge médian n’est pas égal à l’âge moyen.

  • Laure Oberli

    Laure Oberli a grandi sur les rives lacustres de La Tène, haut-lieu du second âge du fer. Ingénieure forestière et anthropologue, elle se passionne pour les relations humains-nature. Actuellement aménagiste des forêts du canton de Neuchâtel, elle développe parallèlement le bureau Popoulus et une démarche participative nommée « Arbre-lien », ayant pour objectif la création d’un réseau de très vieux arbres.