Des haies pour assurer notre sécurité alimentaire

Publié le 28 novembre 2023

Tornades dévastatrices, vagues de chaleur et sécheresses inouïes, méga-feux de forêts, précipitations et crues ravageuses : le dérèglement climatique s’invite partout et surprend par ses formes, son intensité et surtout par son inquiétante accélération.

 

À ce constat vient s’ajouter un conflit aux portes de l’Europe qui remet en cause le modèle agronomique dominant.
Face à la situation d’urgence écologique et climatique actuelle, il est important de restaurer nos sols cultivés dans le sens d’une «agriculture du carbone et des sols vivants». Cela pourrait être à même non seulement d’atténuer les effets des extrêmes climatiques subis actuellement, mais aussi de les prévenir, si nous nous y attelons très rapidement et de façon suffisamment intensive.

Heureusement, nous disposons d’outils assez efficaces et moins onéreux que généralement imaginé. Au premier rang figure la plantation de haies encadrant les champs cultivés et connectées aux  lisières de forêts. Ces structures végétales associant arbres, arbustes et arbrisseaux (fruticée), et autres plantes indigènes sont des solutions vivantes qui permettent de restituer de la matière organique – donc du carbone – aux sols. De ce fait, la capacité de stocker l’eau s’en trouve restaurée.
Au-delà de l’hydrologie, l’utilité des haies a bien fait ses preuves face au vent. Placés en rideaux-abris (haies brise-vents), les arbres et les arbustes sont appréciés comme «dompteurs du vent». Ceci a un effet direct sur la productivité des cultures, sachant que pour le tournesol par exemple, une vitesse moyenne du vent de 5.5 mètres/seconde fait tomber le poids sec de la récolte à 50 %.

Placés en rideaux-abris, les arbres et les arbustes sont appréciés comme «dompteurs du vent»

Nous proposons de reconstituer une trame verte suffisamment dense dans les nombreuses zones cultivées où elle manque encore : des haies de 5 à 10 mètres de largeur tous les 100 à 200 mètres, le long des lignes de niveau, bordées d’une bande herbacée naturelle, le tout compartimentant et protégeant les cultures, les prairies et les pâturages.  En terrain plat, leur aménagement doit se faire le long des cours d’eau (pour en maintenir la fraîcheur) et en fonction des vents dominants, ce qui évitera donc des pertes de productivité de façon notable.

Cette trame sera non-seulement une structure du paysage permettant à une riche faune et flore de se reconstituer, mais du fait d’être taillée à intervalles réguliers, elle fournira de la matière organique nécessaire à la régénération des sols, ainsi que du fourrage essentiel à la santé du bétail (le bovin étant un animal forestier). Mentionnons dans ce contexte les réaménagements exemplaires réalisés au Liechtenstein, autrefois «désert agricole» vidé de ses arbres, réalisations documentées et poursuivies par l’ingénieur forestier ETHZ Dr. Mario F. Broggi, par la suite Directeur de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL). Sur la base de sa grande expertise en écologie des milieux naturels, ce spécialiste évoque la «dîme pour la nature» (10%) et estime par ailleurs qu’une part de 15 % du territoire cultivé devrait être maintenue à l’état naturel, avant tout sous forme de structures arborées, afin que la biodiversité végétale et animale puisse être garantie sur le long terme. Pour la Suisse, il mentionne les environs de Loèche (Leuk, en Valais) comme bel exemple de structures bocagères qui se sont maintenues malgré les réaménagements du territoire.

Une telle trame ligneuse permettra à nos paysages cultivés de retrouver leur expression sonore, au-travers des chants d’oiseaux, des stridulations d’insectes et des coassements des batraciens

Autre aspect, que la science est en train d’explorer : une telle trame ligneuse, associée à des zones humides locales à rétablir, permettra à nos paysages cultivés de retrouver leur expression sonore, au-travers des chants d’oiseaux, des stridulations d’insectes et des coassements des batraciens, dont on sait aujourd’hui qu’ils favorisent à leur manière la croissance végétale. De relever ainsi le défi climatique et de la sécurité alimentaire va donc bien au-delà du fait de produire une nourriture saine et durable  –  cela revient tout simplement à cultiver de la beauté et du bien-être pour tous, humains et non-humains.

 

(c) Article paru dans Le Temps, 28 août 2023

  • Ernst Zürcher, Mickael Grégoire et Thomas Martin

    Ernst Zürcher est ingénieur forestier, Dr. en sciences, chercheur et auteur de nombreux ouvrages dont Les Arbres entre Visible et Invisible (Actes Sud 2016 / Babel 2021).
    Spécialisé en modélisation numérique, Mickael Grégoire est ingénieur , diplômé de l’École Nationale Supérieure d’Hydraulique Mécanique et Environnement de Grenoble). Il est président de l’association Semourais.
    Concepteur Paysagiste diplômé de l‘ENSP Versailles-Marseille, Thomas Martin Dut travaille en génie biologique et génie de l’environnement.