Deux bonnes raisons de préserver les grands arbres

Publié le 14 juillet 2025

Dans nos forêts, nos campagnes ou au cœur de nos villes, les arbres occupent une place essentielle, bien au-delà des services écosystémiques que l’on reconnaît habituellement. Les grands arbres, en particulier, assurent des fonctions écologiques irremplaçables : ils sont de véritables acteurs du climat et de la régulation de notre environnement immédiat.

 

Prenons l’exemple d’un grand hêtre de 20 mètres de haut, déployant sa couronne sphérique dans un parc. Cet arbre, dans la pleine maturité de sa vie, peut porter jusqu’à 500 000 feuilles. Chacune d’elles participe à la photosynthèse, ce processus vital par lequel la lumière du soleil est transformée en matière organique — du bois notamment — tout en absorbant du dioxyde de carbone (CO₂) et en libérant de l’oxygène.

Une climatisation naturelle insoupçonnée
Ce que l’on sait moins, c’est que la formation du bois par un arbre contribue activement au refroidissement de l’air ambiant. Ce phénomène repose sur l’évapotranspiration : lors de la croissance, l’arbre évapore de grandes quantités d’eau par ses feuilles. Ce processus absorbe une quantité importante d’énergie solaire, contribuant ainsi à rafraîchir son environnement.

Ce que l’on sait moins, c’est que la formation du bois par un arbre contribue activement au refroidissement de l’air ambiant. Ce phénomène repose sur l’évapotranspiration.

 Chez les essences feuillues des régions tempérées, on estime qu’il faut environ 300 litres d’eau évaporée pour produire un seul kilo de bois. Or, chaque litre d’eau évaporé absorbe 2,43 mégaJoules (MJ) d’énergie thermique. Résultat : 729 MJ sont ainsi dissipés dans l’atmosphère pour chaque kilo de bois formé. Cet effet est encore plus spectaculaire sous les latitudes tropicales, où certaines essences évaporent jusqu’à 900 litres d’eau par kilo de matière organique produite.

Il s’agit là d’un mécanisme de refroidissement naturel, silencieux et durable, sans aucune dépense énergétique artificielle.

Un puissant puits de carbone
Par ailleurs, chaque kilo de bois produit représente également une séquestration de 1,85 kg de CO₂ prélevés dans l’atmosphère. Ce carbone est stocké dans la matière ligneuse pour des décennies, voire des siècles, tant que l’arbre reste debout — ou que le bois est utilisé de manière durable.

En somme, la production d’un kilo de bois par un arbre mature génère 747 MJ d’effets bénéfiques sur l’environnement : 729 MJ grâce à l’évapotranspiration, et 18 MJ sous forme d’énergie stockée par la matière elle-même. Ce bilan est révélateur : l’effet rafraîchissant immédiat est environ quarante fois plus important que l’effet carbone à long terme. Pourtant, ce rôle fondamental du cycle de l’eau dans le fonctionnement climatique des arbres reste largement sous-estimé.

Un capital naturel irremplaçable
Ce que cela signifie concrètement, c’est qu’un arbre adulte ne peut être remplacé par quelques exemplaires plantés. Il en faudrait des dizaines, parfois des centaines pour totaliser le même nombre de feuilles, et égaler l’impact physiologique et climatique d’un seul grand sujet, sans parler de la profondeur de son enracinement ni de sa capacité à puiser l’eau en toute saison.

En période de bouleversements climatiques, chaque grand arbre conservé est un allié puissant, une sentinelle climatique, un acteur du cycle de l’eau et du carbone.

Il serait donc contre-productif, d’un point de vue écologique, de remplacer systématiquement les vieux arbres par de jeunes plants sous prétexte de gestion ou de sécurité, sans prendre en compte leur valeur écologique irremplaçable.

Un appel à la vigilance
En période de bouleversements climatiques, chaque grand arbre conservé est un allié puissant, une sentinelle climatique, un acteur du cycle de l’eau et du carbone. Il est urgent de revoir nos politiques d’aménagement du territoire, de sylviculture et d’urbanisme, pour intégrer pleinement les fonctions écologiques majeures que remplissent les arbres anciens.

Leur présence ne se limite pas à l’ombre qu’ils projettent : ils œuvrent activement, et en silence, pour un monde plus respirable et plus tempéré.

 

 

 

Sources
Larcher, W. (1980) : Ökologie der Pflanzen. Verlag Eugen Ulmer, Stuttgart.
Zürcher, E. (2016 / 2021) : Les Arbres, entre Visible et Invisible. Actes Sud, Arles

  • Ernst Zürcher

    Ernst Zürcher est un ingénieur forestier reconnu mondialement, docteur en sciences naturelles, professeur émérite et chercheur en sciences du bois à la Haute École spécialisée bernoise, jusqu’à récemment chargé de cours à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zürich (ETHZ) et à l’Université de Lausanne (UNIL). Il étudie plus particulièrement les structures temporelles des arbres (la chronobiologie), et les questions en lien avec la transition écologique. Auteurs de nombreux ouvrages, dont Les Arbres, entre Visible et Invisible publié chez Actes Sud, il est également au centre de plusieurs films documentaires, dont la série Forêts Je vous aime.