La foresterie en Suisse, une évolution qui peut inquiéter

Publié le 6 février 2024

La gestion de la forêt suisse jouit d’une bonne réputation au niveau international, en raison notamment d’une législation forestière plutôt conservatrice. Qu’en est-il aujourd’hui?

 

Une riche tradition
Au sein des mouvements de protection de la nature, les questions forestières jouent un rôle important. Rien d’étonnant à cela, car la forêt occupe près du tiers de la superficie du pays, tendance à la hausse principalement dans les montagnes en raison de l’abandon de terres difficiles à cultiver ou à pâturer. L’aire forestière s’étend même sur plus de 48 % de la superficie du territoire dans la chaîne jurassienne. La forêt fournit une large gamme de produits et de services dont bénéficie toute la population. Le libre accès à la forêt est garanti par un article du Code civil.
La gestion de la forêt suisse jouit d’une bonne réputation au niveau international, en raison notamment d’une législation forestière plutôt conservatrice : l’interdiction de défricher, donc de réduire l’aire forestière, l’interdiction de principe des coupes rases ainsi que l’option pour une sylviculture proche de la nature sont emblématiques de cette politique pratiquée depuis plus d’un siècle.

Aspects de l’évolution actuelle de la foresterie
On observe toutefois depuis quelque temps, en différents lieux, que l’état de la forêt ne correspond plus à cette réputation.
Des dessertes excessives sont mises en place, qui peuvent devenir des facteurs d’érosion sur les versants si l’on ne prend pas garde à l’évacuation des eaux. De fortes coupes de bois ont lieu ici ou là, par exemple dans des périmètres exposés plein sud, sans que l’on comprenne l’intention sylvicole à l’origine de celles-ci. L’exploitation et le débardage du bois causent des dégâts qui peuvent être importants sur les arbres du peuplement forestier en place. L’usage de grosses et lourdes machines entraîne un compactage des sols et des ravinements.

La sylviculture proche de la nature, toujours invoquée par les professionnels de la foresterie, connaît d’importantes distorsions.

On invoque de manière discutable l’argument de la sécurité pour justifier certaines coupes de bois. L’information à la population n’est pas toujours suffisante. La politique de création de réserves forestières est peu dynamique. L’usage de pesticides pour la conservation du bois entreposé en forêt reste autorisé.
Ainsi, la sylviculture proche de la nature, toujours invoquée par les professionnels de la foresterie, connaît d’importantes distorsions.

Que se passe-t-il ?
Essayons d’identifier les raisons de ces problèmes qui, il faut le répéter, ne sont pas généralisés. En fait, nombre de propriétaires ou de triages forestiers œuvrent dans un souci de durabilité, en cherchant à concilier les fonctions écologique, sociale et économique de la forêt. Il n’en reste pas moins que des dérives regrettables peuvent être observées. Que se passe-t-il?
L’affaiblissement de la formation en sylviculture, depuis une vingtaine d’années, dans les différentes écoles formant les professionnels de la foresterie, suffit-il à expliquer la situation ? Faut-il invoquer la recherche de la rentabilité à tout prix alors que le marché du bois est dépressif depuis des dizaines d’années ?  Ou encore pointer la réorganisation des services forestiers dans les cantons, qui a eu pour effet, outre une réduction du personnel, surtout d’éloigner les niveaux supérieurs des administrations forestières de la réalité du terrain. On peut avoir l’impression, parfois, que les triages forestiers fonctionnent en roue libre – et que les impératifs économiques prédominent…

  • Jean-Pierre Sorg

    Jean-Pierre Sorg  est ingénieur forestier EPFZ, docteur en sciences naturelles, et vit aujourd’hui à Délémont. Il s’est perfectionné en sylviculture et phytosociologie, ainsi qu’en foresterie tropicale (gestion de forêts naturelles, reboisement, agroforesterie, foresterie sociale). Il a été chargé de cours et responsable d’un groupe de formation et de recherche en foresterie tropicale à l’EPFZ, et a siégé plus de 20 ans au comité central de Pro Natura.