Prendre soin de la forêt au lieu de la dévaster

Publié le 25 mai 2023

Les périodes de canicule surviennent de plus en plus tôt, avec d’inquiétants records de température et des effets plus inquiétants encore sur le régime des eaux dont dépend notre agriculture. Face à cela, la brutalité avec laquelle certaines de nos forêts sont traitées illustre à quel point les responsables en question semblent ignorer le rôle essentiel qu’elles jouent dans nos écosystèmes naturels et cultivés.

Les forêts sont nos châteaux d’eau
En effet, nos forêts, pour autant qu’elles soient naturelles dans leur composition et respectées dans leur intégrité spatiale – que les forestiers caractérisent par le « degré de fermeture », c’est-à-dire la densité de la canopée –, constituent les « châteaux d’eau » de nos paysages habités, de manière analogue aux glaciers de haute montagne. Stockant une grande partie des eaux de pluie, elles garantissent un débit permanent de nos sources et de nos rivières, et alimentent les nappes phréatiques en eau pure.  Pour garantir la pérennité de cette fonction vitale, le sylviculteur averti s’efforce de trouver un juste équilibre entre la nécessité de protéger le sol forestier contre l’impact direct du soleil avec son effet desséchant, et l’intensité des éclaircies et des récoltes de bois permettant le rajeunissement naturel.

Or les observations des forestiers de terrain et les résultats des recherches les plus récentes mettent en évidence que cet équilibre est non seulement réalisable, mais aussi favorable à la résilience de la forêt face aux impacts climatiques à affronter. En effet, ce n’est pas par de coûteuses plantations de jeunes arbres sur un terrain mis à nu, remplaçant le massif de la forêt naturelle qu’on lui permettra de s’adapter aux changements climatiques. C’est bien plutôt en laissant libre cours à la sélection naturelle et aux symbioses ayant lieu dans des peuplements disposant de toute la diversité des essences nécessaires à cela, et ceci dès les premiers stades de développement issus de la germination.

Le rôle du sylviculteur
Progressivement, le sylviculteur accompagnera cette dynamique pour favoriser les plus beaux exemplaires. Ce sera l’exception plutôt que la règle s’il va planter – ou mieux : semer – certaines essences peut-être trop peu représentées, et ceci sur de petites surfaces, évitant de provoquer de trop grandes trouées dans le massif principal, en ménageant ainsi au maximum l’humidité naturelle du sol forestier. Un aperçu à la fois clair et détaillé de ces enjeux vient récemment d’être formulé par le Prof. hon. Dr. Jean-Philippe Schütz, l’un des plus grands experts en recherche et pratique forestière*.

Aujourd’hui plus que jamais, il s’agit donc de faire preuve de retenue dans la gestion du patrimoine forestier que nous ont légué nos collègues des générations précédentes. Ce n’est pas en ouvrant brutalement les forêts avec l’effet dévastateur bien connu de coupes rases, mettant les sols à nu et provoquant leur desséchement, que l’on aidera nos forêts à résister aux climats extrêmes du futur. Nous risquons de perturber et de mettre à sec les régimes hydriques déjà fragilisés, qui livrent une eau précieuse dont dépend la survie de notre agriculture.

 

*Jean-Philippe Schutz, professeur, docteur en sylviculture, École polytechnique de Zurich, a publié un « Manifeste pour une sylviculture basée sur les capacités adaptatives des espèces natives. », dans La forêt, en août 2022.

  • Ernst Zürcher

    Ernst Zürcher est un ingénieur forestier reconnu mondialement, docteur en sciences naturelles, professeur émérite et chercheur en sciences du bois à la Haute École spécialisée bernoise, jusqu’à récemment chargé de cours à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zürich (ETHZ) et à l’Université de Lausanne (UNIL). Il étudie plus particulièrement les structures temporelles des arbres (la chronobiologie), et les questions en lien avec la transition écologique. Auteurs de nombreux ouvrages, dont Les Arbres, entre Visible et Invisible publié chez Actes Sud, il est également au centre de plusieurs films documentaires, dont la série Forêts Je vous aime.