Le Bois et la Lune: sur la piste des connaissances traditionnelles

Alors que l’influence des cycles lunaires sur la formation des marées et sur la vie marine est scientifiquement bien établie, le rôle de tels cycles dans le monde végétal est encore souvent associé à des croyances populaires. Et pourtant…

Il y a quelques années déjà, une équipe de chercheurs suisses a publié un article présentant des liens significatifs entre les phases lunaires et les propriétés du bois au moment de l’abattage des arbres. Le résultat de plusieurs années d’études transdisciplinaires a ainsi été reconnu scientifiquement et ouvre aujourd’hui des perspectives inattendues.

Rythmes des marées dans les arbres
Une réévaluation interdisciplinaire de données de mesure déjà publiées, issues d’une étude de physiologie des arbres, a permis de découvrir l’effet des rythmes lunaires quotidiens. Les variations de diamètre des arbres maintenus dans des conditions constantes se font de manière synchrone, avec les marées gravimétriques*. Ces données, ainsi que d’autres provenant d’arbres en croissance libre, ont récemment été analysées à l’aide de nouvelles méthodes mathématiques et statistiques. La confirmation du rôle des rythmes des marées dans la physiologie des arbres est spectaculaire**. Le même type de fluctuations a aussi été établi en mesurant les faibles courants bioélectriques le long du tronc des arbres au cours des saisons***.

Phytopratiques traditionnelles et recherche
Alors que les traditions forestières de différents continents affirment que les propriétés du bois dépendent fortement d’un abattage des arbres en accord avec les saisons et les phases de la lune, la question n’a guère été étudiée à grande échelle sur le plan scientifique. L’auteur de cet article, travaille depuis plusieurs années avec des collègues sur le thème des rythmes dans la biologie des arbres (chronobiologie) et de leurs relations avec les cycles lunaires, ce qui a déjà conduit à plusieurs découvertes intéressantes.

Une étude à grande échelle
En ce qui concerne la question des variations des propriétés du bois, une étude à grande échelle, et selon des critères scientifiques, a été menée en collaboration avec des collègues chercheurs de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL), de l’École polytechnique fédérale de Lausanne EPFL, et avec l’aide de plusieurs services forestiers. D’octobre 2003 à mars 2004, 624 arbres au total ont été abattus simultanément chaque lundi et chaque jeudi dans cinq sites suisses différents. Après leur passage en laboratoire, les échantillons prélevés ont livré une partie de leurs secrets.

Un phénomène significatif mais complexe
Les résultats, publiés dans la revue scientifique Trees (voir ci-dessous), ont permis aux chercheurs d’établir, à l’aide de méthodes statistiques, que ces anciennes règles forestières reposent effectivement sur un phénomène objectif subtil. Les tests ont été réalisés et évalués sur des échantillons d’épicéa et de châtaignier, une essence feuillue indigène liée aux coutumes lunaires. Grâce à de grandes séries d’échantillons de bois de cœur et d’aubier (couche extérieure du tronc qui conduit l’eau vers le houppier), il a été possible de mettre en relation des critères mesurables tels que la perte d’eau, le changement de dimension dû au séchage – appelé aussi retrait -, et la variation de densité avec différents cycles lunaires. Il en résulte des corrélations significatives entre les phases lunaires au moment de l’abattage et le comportement du bois, notamment en ce qui concerne la perte d’eau et le retrait. Il est intéressant de savoir que la densité du bois, à la fin du processus de séchage, varie également. L’aubier extérieur, mais aussi le bois de cœur qui n’est plus vivant, présente ces variations significatives liées à la lune.

Ces résultats fournissent une base solide pour des questions plus approfondies et une meilleure compréhension des rythmes lunaires comme facteur d’influence sur les propriétés du bois au niveau des forces qui relient ce matériau à l’eau.

Potentiels de développement
Ces résultats expérimentaux indiquent que certaines règles populaires concernant le comportement au séchage du bois de lune se basent sur des phénomènes naturels réels, mais simplifient parfois considérablement la réalité. Un enjeu des recherches futures serait d’affiner les pratiques (tel l’abattage d’hiver par rapport à l’abattage d’été), et surtout d’étudier un éventuel effet sur la durabilité du bois face aux dégâts des champignons et des insectes. Cela pourrait déboucher sur une nouvelle forme de « biotechnologie » qui prendrait en compte le facteur « temps » et permettrait d’obtenir des bois plus résistants, nécessitant moins, voire aucun traitement chimique de protection.

Sources

* Zürcher, E., Cantiani, M.-G., Sorbetti-Guerri, F. and Michel, D. (1998): Tree stem diameters fluctuate with tide. Nature (392):665-666.

** Barlow, P.W., Mikulecky, M., Strestik, J. (2010): Tree-stem diameter fluctuates with the lunar tides and perhaps with geomagnetic activity. Protoplasma (online): 15. April 2010.

*** Holzknecht, K. and Zürcher, E. (2006): Tree stems and tides – A new approach and elements of reflexion. Schweizerische Zeitschrift für Forstwesen (Switzerland) 157 (6): 185-190.

Revue Tree: Zürcher, E., Schlaepfer, R., Conedera, M., Giudici, F. (2009): Looking for differences in wood properties as a function of the felling date: lunar phase-correlated variations in the drying behavior of Norway Spruce (Picea abies Karst.) and Sweet Chestnut (Castanea sativa Mill.). TREES – Structure and Function. Online 27. August 2009, Publ. (2010) 24: 31-41.